Référence européenne en matière ESG (Environnement, Social et Gouvernance) pour les marchés financiers, GRESB a récemment posé une question volontairement provocatrice : « L’ESG est-elle morte dans l’immobilier ? Quel avenir pour le développement durable ? ».
Nous en parlons avec Philippe Fixel, spécialisé en analyse financière immobilière et environnementale ESG.

Que pourriez-vous dire de l’immobilier d’investissement et d’exploitation alors que le GRESB interpelle sur la fin de l’ESG au sein de la filière ?
Philippe Fixel : Dans le secteur immobilier, la question résonne avec une ironie particulière.
Car si l’ESG vacille, ce n’est pas faute d’enjeux, mais faute de structure. Là où la finance durable s’est dotée de cadres, de métriques et de gouvernances solides — Taxonomie, SFDR, CSRD, TCFD —
le monde immobilier reste éclaté entre labels, diagnostics et reporting en silos.
Autrement dit, la finance est devenue durable, l’immobilier ne l’est pas encore. Et c’est normal : la finance a dû se structurer sous contrainte réglementaire, tandis que l’immobilier a cru pouvoir se verdir par la communication et les labels. Mais le mouvement s’inverse. En 2026, avec la montée en puissance des green loans, des obligations durables et des KPI climatiques intégrés aux contrats de financement, c’est la finance qui redéfinit les règles du jeu immobilier.
Les banques et les investisseurs imposent désormais la discipline que le secteur n’a pas su s’imposer à lui-même : des données vérifiables, des trajectoires mesurables, et des CAPEX alignés sur des objectifs ESG précis. L’ESG immobilier n’est donc pas mort. Il retourne simplement à son point d’origine : la finance, là où la durabilité cesse d’être une intention pour devenir une condition d’accès au capital.
L’ESG dans l’immobilier doit-il trouver des racines dans la finance durable ?
PF : Depuis dix ans, le secteur a multiplié les labels, chartes et scores… mais sans ancrage financier.
Or, la durabilité ne se prouve plus par des certifications, mais par des flux financiers conditionnés à des données vérifiables. La finance durable a fait son virage vers la mesure — l’immobilier reste trop souvent dans le déclaratif. La vraie question n’est pas “quel label avez-vous ?”, mais “quelles preuves pouvez-vous fournir à votre financeur ?”
Pourquoi la finance durable avance pendant que l’immobilier ne se standardise pas ?
PF : La finance n’a pas attendu le bâtiment pour s’adapter : elle a bâti des référentiels (Taxonomie, SFDR, ISSB) et une grammaire commune. Chaque KPI y est défini, mesurable, auditable. L’immobilier, lui, reste fragmenté entre ingénierie, data et asset management, sans gouvernance unifiée.
L’avenir n’appartient pas à ceux qui “collectent plus de données”, mais à ceux qui savent les traduire en décisions financières.
Et si, demain, les green loans devenaient les vrais directeurs techniques ?
PF : Les prêts verts et sustainability-linked loans ne sont plus de simples produits marketing :
ils conditionnent les marges de financement aux résultats ESG (kWh, tCO₂e, part d’actifs alignés Taxonomie). Autrement dit, la banque devient un acteur du pilotage CAPEX. L’ESG n’est plus une option stratégique, c’est une clause de prêt. La question n’est plus “quels travaux ferons-nous ?”, mais “quels travaux notre financeur nous autorisera-t-il à faire ?”
L’ESG immobilier doit-il être sauvé… ou repensé ?
PF : Plutôt que d’essayer de “sauver” un acronyme fatigué, l’immobilier doit sans doute accepter un changement de paradigme : sortir de la conformité cosmétique pour entrer dans la preuve de performance durable. Ce n’est plus le sigle ESG qu’il faut sauver, mais la crédibilité de la donnée. Quand la donnée devient fiable, interopérable et bancable, l’ESG redevient un levier de valeur, pas une contrainte administrative.
« La finance est devenue durable, l’immobilier ne l’est pas encore »