MBE Conseil, qui a rejoint le groupe ADEQUATION en septembre 2024, produit des données, des études et du conseil pour l’immobilier tertiaire. Pour Isabelle RAMOND, directrice des opérations, il ne faut pas enterrer trop vite l’immobilier de bureau : il reste une demande à satisfaire et la nécessaire transformation des actifs obsolètes pourrait utilement servir à cela.
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Qu’est-ce qui vous permet de penser que le bureau n’est pas mort en Ile-de-France ?
Isabelle RAMOND. Cela peut paraître paradoxal quand on sait que l’offre est absolument pléthorique, avec 6 millions de m2 de bureaux disponibles immédiatement, dont 2 millions de m2 neufs ! Et je n’ignore pas que la demande placée, qui avoisine les 1,8 millions de m2, a beaucoup baissé. Mais, même si elle ne devrait jamais retrouver les niveaux historiques que 2006 ou 2018, elle n’est tout de même pas négligeable, surtout dans la conjoncture économique actuelle. Donc, il reste une demande à satisfaire, dans un contexte où, dans les années qui viennent, les livraisons de bureaux neufs vont totalement se tarir dans certains secteurs.
À quoi pensez-vous ?
IR. Comme on le sait, le stock de bureaux est en partie vieillissant et le décret tertiaire[1] accélère son obsolescence : 2030, c’est demain ! Il est aujourd’hui fort rare que des locaux puissent être remis sur le marché sans travaux préalables. Or au vu de la pléthore d’offre, de nombreux propriétaires préfèrent renouveler les baux et souvent consentir des efforts de loyer très importants à leur locataires pour les conserver. Cette situation ne durera pas indéfiniment et lesdits locataires pourraient finir par chercher à déménager pour des bureaux de meilleure qualité et à rationaliser leurs surfaces.
La notion de surface est capitale car, ces dernières années, on a souvent construit de très grands immeubles alors que la demande placée de très grande taille a toujours été relativement limitée : sur les vingt dernières années, il s’est signé en moyenne 6 transactions de plus de 20 000 m² par an (clés en mains inclus) et, en nombre, elles représentent à peine 15% des transactions de grande taille enregistrées depuis 2014.
Il est par ailleurs important à mon sens de ne pas oublier que le marché des bureaux ne se limite pas à Paris intra-muros et que les marchés périphériques vont devoir eux aussi se réinventer.
Y-a-t-il une demande qui passe sous les radars des statistiques ?
IR. C’est une question compliquée. Les statistiques collectées par Immostat portent sur l’Île-de-France dans son entier, mais les intervenants sur transactions effectuées dans les marchés périphériques sont variés, des propriétaires en direct aux collectivités locales. Nous travaillons actuellement sur ce sujet au travers de plusieurs exemples de communes situées en deuxième périphérie, mais il est encore trop tôt pour tirer des conclusions.
Les derniers chiffres annuels de l’emploi privé publiés par l’URSSAF montrent que, paradoxalement, les trois départements ayant connu la plus forte croissance de l’emploi entre 2023 et 2024 sont le Val-d’Oise (+1,6 %), la Seine-Saint-Denis (+1,2 %) et la Seine-et-Marne (+0,5 %).
On peut également citer deux transactions de grande taille qui n’ont pas encore été comptabilisées dans les statistiques de marché : le clé en main d’Airbus à Saint-Quentin-en-Yvelines et l’extension de Safran à Massy. Ces deux fleurons industriels viennent illustrer la volonté de la Région de conforter la réindustrialisation de l’Île-de-France, un thème que nous avons récemment exploré dans une étude sur les impacts du SDRIF-E 2040 sur l’économie francilienne.
Ne nous leurrons pas cependant, ces transactions impliquent aussi des libérations de surfaces de grande taille et c’est tout le problème actuellement : nous croyons au besoin en surfaces de bureaux d’excellente qualité, de toute taille, y compris en deuxième périphérie, mais l’avenir de nombreux immeubles désormais obsolètes doit être étudié, en gardant en tête que la diversité de l’économie francilienne doit être préservée.
Il y a donc d’un côté une demande un peu sous-estimée et de l’autre une offre pléthorique : comment assainir cette dernière ?
IR. C’est toute la question de la transformation des actifs qui ne sont plus louables, en raison soit de leur obsolescence bâtimentaire, soit de leur localisation qui n’est plus attractive. Nous sommes de plus en plus sollicités pour conseiller les propriétaires dans leurs arbitrages – que faire de tel actif ? – ou les investisseurs et les promoteurs qui étudient des opportunités d’achat avec transformation. Ce sujet est en train de devenir tout à fait majeur. Même si le travail de transformation est éminemment complexe, en termes techniques, mais surtout administratifs et financiers, les exemples sont de plus en plus nombreux. Depuis 2020, nous suivons les projets franciliens de transformation et nous recensons déjà plus de 1 000 000 m2 de bureaux transformés en d’autres usages, qu’ils soient livrés, en chantier ou avec un PC obtenu, et plus de 400 000 m² en projet, un chiffre qui augmente de jour en jour.
Et qu’observez-vous ?
IR. Une grande majorité des projets porte aujourd’hui sur des transformations en résidentiel, souvent en résidence gérée avec services (coliving, résidence étudiante ou hôtelière..) car c’est souvent le seul type de programme susceptible de les équilibrer financièrement. Les nombreux travaux sur le sujet et les évolutions législatives pourraient permettre à terme de diversifier l’offre résidentielle et d’éviter la saturation dans les secteurs où ces projets sont trop nombreux.
Par ailleurs, d’un point de vue urbanistique et économique, les freins opposés par les élus locaux sur certains projets de logements doivent être observés avec attention car ils soulèvent une question importante : comment éviter de retomber dans le piège des quartiers monofonctionnels résidentiels et maintenir une économie diversifiée dans les communes. Je pense que cette question est fondamentale et nécessite une mobilisation de tous les acteurs publics et privés.
La restructuration d’actifs tertiaires sans changement d’usage est-elle une réponse à la demande de bureaux dans la périphérie parisienne ?
IR. Oui et pour deux raisons : d’une part, la demande va continuer à exister – pour des bureaux de qualité – et, d’autre part, la construction neuve va se raréfier fortement, le nouveau schéma directeur régional adopté en juin dernier réduit fortement les possibilités de construction de locaux neufs. Il faudra donc travailler sur le parc existant. Non pas pour démolir et reconstruire, mais pour transformer des bureaux obsolètes en bureaux modernes, voire en locaux d’activités.
C’est un autre sujet important : l’économie productive a besoin de locaux dans les centres urbains et le gisement de bureaux à transformer pourrait aussi servir à cela. Il faut également garder en tête que l’échelle des transformations va souvent au-delà de l’immeuble : ce sont parfois des quartiers entiers qui sont concernés et le temps de l’urbanisme est long. Il faut souvent au moins dix ans pour mener à bien une transformation urbaine, une temporalité souvent peu compatible avec celle des propriétaires privés.
Comment détecter les opportunités ?
IR. Il faut travailler à la bonne échelle, qui n’est ni celle du bâtiment avec son bilan d’opération, ni celle de la région ou de la Métropole du Grand Paris. Chez MBE, nous avons l’habitude de regarder les indicateurs d’activité économique pour approcher la demande. Depuis notre intégration dans le groupe ADEQUATION, nous avons une vision plus fine et plus complète des dynamiques territoriales, en intégrant les aspects résidentiels et urbains. Plus politiques aussi, car nos missions communes nous mettent en contact avec des collectivités, qui vont exprimer leurs attentes en matière de locaux tertiaires. Elles se posent beaucoup de questions car nombre d’entre elles n’ont pas vraiment de service de développement économique. Les chambres de commerce ne suivent plus beaucoup l’immobilier tertiaire non plus. Il y a donc un vrai besoin d’ingénierie dans ce domaine et nous y travaillons.
Propos recueillis par Jeanne Bazard et Quentin Lamour.
[1] Le décret tertiaire (article 175 de la loi Élan), devenu Éco Énergie Tertiaire, impose la réduction des consommations d’énergie finale de l’ensemble du parc tertiaire d’au moins -40 % en 2030, -50 % en 2040, -60 % en 2050 (par rapport à 2010).