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Directrice de marché Opérateurs de résidences services & propriétaires fonciers privés
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Expert en évaluation immobilière, Responsable développement, ADEQUATION Expertise Paris
Face au vieillissement de la population, à la diversification des parcours de vie et à la tension persistante sur le logement abordable, les bailleurs sociaux sont appelés à innover. Dans ce contexte, les résidences services offrent un potentiel à explorer.
Le vieillissement de la population française est inéluctable : en 2030, un tiers des habitants aura plus de 60 ans.
En parallèle, les jeunes adultes subissent une précarité résidentielle croissante dans les zones tendues.
Le mal-logement étudiant reste également une réalité préoccupante : selon la Fondation pour le logement des défavorisés, un étudiant sur cinq renonce à un logement proche de son lieu d’études faute de moyens.
Plus généralement, la demande évolue sous la pression de tendances sociétales fortes : la progression du nombre de familles monoparentales, la hausse des ruptures familiales, la mobilité croissante des jeunes actifs, ou encore le vieillissement des personnes isolées.
Les résidences services (RS) peuvent répondre simultanément à ces besoins en offrant un cadre de vie souple en apportant une réponse encadrée et collective, elles deviennent un levier stratégique d’intervention pour les acteurs publics et sociaux.
Pourquoi les bailleurs sociaux doivent s’y intéresser :
Historiquement concentrées dans le secteur privé, les RS répondent pourtant à des enjeux cruciaux pour le monde HLM :
- Diversification des publics spécifiques : jeunes en mobilité, familles monoparentales, personnes âgées autonomes…
- Demande accrue de services : sécurité, restauration, animation, gestion collective.
- Valorisation de fonciers stratégiques : urbains, délaissés, ou en renouvellement.
- Opportunités de montages partenariaux innovants : avec des exploitants spécialisés ou opérateurs de l’économie sociale
- Vieillissement des résidents logés dans le parc social.
Certaines expérimentations le prouvent déjà : des acteurs comme In’Li ou CDC Habitat développent des formes hybrides de résidences intermédiaires, à la croisée du logement social, du logement libre, et de l’habitat partagé.
En combinant habitat autonome et services mutualisés, elles peuvent proposer des réponses adaptées aux jeunes actifs, étudiants ou seniors non dépendants. Mais pour s’insérer durablement dans l’écosystème du logement social, ce modèle impose une approche rigoureuse, tant sur le plan économique qu’opérationnel.
Les services : levier d’attractivité mais source de complexité
Les RS se distinguent par la présence de services collectifs : conciergerie, entretien, restauration, animation, sécurité. Ces services nécessitent un exploitant professionnel, capable d’ajuster l’offre aux besoins réels tout en maîtrisant les coûts, sachant par ailleurs que :
- les forfaits de services peuvent faire fortement augmenter le loyer global, au détriment de l’accessibilité,
- mais ils permettent de valoriser des espaces communs plus importants que dans un immeuble d’habitation classique, pouvant atteindre 20 % à 25% vs 8 % à 10% de la surface de plancher.
C’est là que réside la complexité du modèle pour les bailleurs sociaux. En effet, dans une résidence gérée « sociale » cette marge de manœuvre sur les frais de service est plus ténue car ils vont venir doper la valeur locative et donc devenir un devenir obstacle, a contrario des résidences privées. Il est donc essentiel d’anticiper cette tension dans le montage : définir le bon niveau de services, ajuster leur tarification et maîtriser les charges d’exploitation.
Ainsi, si les services représentent un levier d’attractivité essentiel pour les résidences services, ils constituent aussi un point de vigilance majeur, notamment pour les bailleurs sociaux. La réussite d’un tel projet ne repose donc pas uniquement sur une bonne intention ou un concept séduisant, mais sur une méthodologie rigoureuse. Pour garantir sa viabilité et sa pertinence, une résidence services doit s’appuyer sur une approche en trois temps : étude de marché, modélisation économique, et estimation de la valeur de l’actif.
Une démarche rigoureuse en trois temps
1. L’étude de marché : comprendre le territoire et les publics
Une connaissance fine de l’environnement du projet suppose de croiser :
- Les données socio-démographiques : part des +65 ans, des 18-29 ans, revenus médians, profils familiaux…
- Les données urbaines : accessibilité, offre de transport, équipements de santé et de loisirs.
- La concurrence locale : RS existantes, résidences autonomie, coliving privé, etc.
Cela permet d’affiner le positionnement : gamme de loyers, nature des services attendus, dimensionnement des espaces partagés.
2. Le bilan d’exploitation : valider la soutenabilité du modèle
Un prévisionnel d’exploitation sur 5 à 10 ans est indispensable pour estimer la rentabilité d’une RS. Il doit intégrer :
- Les recettes : loyers, forfaits, revenus annexes.
- Les charges : fluides, entretien, personnel, gestion des services.
L’intensité des charges varie fortement selon le profil des occupants. Les résidences séniors, par exemple, impliquent plus de personnel et un suivi accru par rapport aux résidences pour jeunes actifs, qui peuvent mutualiser certains postes.
3. La valorisation de l’actif
Une fois le modèle stabilisé, il faut estimer la valeur comptable du projet (en vue notamment de son incorporation dans le portefeuille d’actifs immobiliers du bailleur), ce qui peut se faire via deux approches :
- Capitalisation : en appliquant un taux de rendement sur l’EBITDA ou le loyer net.
- DCF (discounted cash flow) : en actualisant les flux futurs, avec une valeur terminale à horizon 10-15 ans.
Dans le cadre social, il faut ajuster les hypothèses : un actif avec un loyer social ou encadré ne sera pas valorisé comme un produit libre. La non-valorisation des espaces communs et les contraintes de revente (préemption, conventionnement) doivent aussi être prises en compte.
En conclusion
Les résidences services ne sont pas le produit miracle que l’on croit souvent voir en elles, mais elles constituent un outil stratégique pour les bailleurs sociaux qui souhaitent diversifier leur parc, renforcer leur ancrage territorial et répondre à des besoins émergents. À condition de bien en maîtriser les équilibres économiques et sociaux, elles peuvent contribuer à construire un logement plus inclusif, plus évolutif, et mieux adapté aux transitions de la vie.
@kumpan-electric, Unsplash