Logement social : réparer la panne de production

La situation du logement social est loin d’être au beau fixe. Alors que la demande croît, la production de logements sociaux reste très contrainte sans grand espoir de changement structurel à court terme. Dans ce contexte, expérimenter localement de nouvelles coopérations est une piste à ne pas négliger.

Rappelons la triste réalité de la construction de logements neufs depuis 2021. Les ventes au détail dépassaient alors 100 000 unités. Elles ont chuté à moins de 60 000 en 2023 et 2024, et probablement à peine plus de 50 000 cette année. Et l’alimentation du marché reste au plus bas, avec à peine 50 000 mises en ventes actées en 2024 et prévues pour 2025, contre encore 73 000 en 2023.

S’agissant des seuls logements locatifs sociaux (LLS), si l’on peut se réjouir de la hausse du nombre d’agréments, proche des 90 000 pour 2024 contre 85 000 en 2023, nous restons loin des 100 000 à 110 000 connus entre 2017 et 2019. En outre, tous ces agréments ne se transforment pas en construction, environ 8 % d’entre eux restent sans suite selon la DHUP..

À ce jour, alors que les besoins sont au plus haut, il reste difficile de prévoir l’échéance voire la forme que pourra prendre une reprise sérieuse de l’activité immobilière. S’agissant en particulier du logement social, voici plusieurs raisons de douter de l’imminence d’un retour de croissance.

 

Un système en panne

Sous-activité de la promotion immobilière et baisse des ventes en blocs

Voilà au moins 5 ans qu’environ 50 % de la production de logements sociaux s’effectue via l’achat en VEFA de logements auprès des promoteurs immobiliers. Des ventes en bloc de l’ordre de 50 000 unités locatives (logements intermédiaires, sociaux et très marginalement libres institutionnels) sont venues combler en partie le déficit de ventes au détail des promoteurs, dans un contexte de dégradation de la solvabilité des particuliers. Mais cet effet d’opportunité semble derrière nous : selon le SDES (ministère), les ventes en bloc n’ont été que de 17 000 unités locatives au premier semestre 2025, en raison de la sous-alimentation du marché par les promoteurs.

 

Limites à la massification de la maîtrise d’ouvrage directe

Alternative à la VEFA, la maîtrise d’ouvrage directe reste difficile à redéployer massivement, souvent faute de compétences immédiatement disponibles, et en raison d’une prise de risque importante dans un contexte économiquement incertain. Acheteur en VEFA, le bailleur est protégé de tout retour de conjoncture, le prix étant fixé une fois pour toute à la signature du contrat de réservation ; maître d’ouvrage, c’est lui qui est exposé à l’ensemble des aléas et des risques inhérents à la réalisation de l’opération (hausse de coûts des matières premières, allongement des délais entraînant des frais financiers imprévus…).

 

Concurrence du logement locatif intermédiaire (LLI)

Le logement locatif intermédiaire a connu une poussée de production sur la période 2020-2023, quand les deux principaux acteurs concernés (Groupe Action Logement et CDC Habitat) ont conjointement acheté en bloc près de 50 000 logements à des stades plus ou moins avancés aux promoteurs mis à mal d’abord par la crise du COVID puis par la hausse brutale des taux en 2022. C’était pour les positionner en LLI, nettement plus favorable que le LLS à l’équilibre financier de l’opération immobilière. Cette croissance exceptionnelle étant difficilement soutenable dans la durée, les volumes devraient redescendre à un peu moins de 20 000 logements vendus en blocs en LLI en 2025[1], mais il est certain que le LLI a grignoté des « parts de marchés » du LLS au sein des ventes en blocs ces dernières années.

 

Impératif de rénovation ou d’adaptation du parc

Les bailleurs investissent beaucoup dans la rénovation thermique de leur parc, notamment pour le mettre en conformité avec le référentiel de la loi Climat et résilience. Le coût se chiffre en dizaines de milliards d’euros. Même si un programme ANRU III est attendu, c’est autant de capacité d’investissement détournée (pour la bonne cause évidemment) de la construction de logements neufs. Certains bailleurs y consacrent d’ailleurs déjà la quasi-totalité de leurs moyens. Parallèlement, le vieillissement de la population impose aux bailleurs d’adapter rapidement leur parc pour permettre le maintien à domicile des ménages ou des personnes seules.

 

Diminution du soutien public

Last but not least, le soutien public au logement social continue de décroître.
Instaurée en 2018, la RLS (réduction de loyer de solidarité) aurait prélevé 1,3 milliard d’euros par an sur le budget global des bailleurs sociaux selon la Cour des comptes. La hausse des coûts de construction et à l’élévation des taux du livret A ont encore fragilisé les bailleurs[2]. La baisse annoncée de la RLS et celle du taux du livret A ne devraient pas suffire à inverser la tendance.

Au contraire, le Fonds national des aides à la pierre, qui subventionne le logement social, pourrait être raboté, selon Le Moniteur. Le Premier ministre aurait par ailleurs commandé un rapport sur « la rationalisation et la mise en cohérence de l’effort financier porté par la puissance publique en faveur du logement social, en vue de dégager une contribution au redressement des comptes publics ».

 

Retrouver des marges de manœuvre pour maintenir la production

Devant ce sombre tableau, un optimisme de convenance serait mal venu. Nous nous garderons également de tout pronostic relatif à la politique nationale du logement dans les mois à venir, pour des raisons faciles à imaginer.

Une partie de la réponse au problème, toutefois, peut être cherchée localement, entre les trois protagonistes que sont les collectivités, les bailleurs sociaux et les promoteurs immobiliers, pour retrouver des marges de manœuvre. Par exemple en réinterrogeant le mix des produits sociaux et la taille des programmes : il est souvent plus facile de trouver des péréquations au sein d’un programme de 50 logements que de 25. Ou encore en définissant les contours de nouveaux partenariats bailleurs/promoteurs à l’échelle locale ou nationale.

Le sous-investissement en logements sociaux n’est avantageux pour personne, ni pour les collectivités attentives au logement de leurs habitants, ni pour les promoteurs qui restent malgré tout dépendants des bailleurs pour monter leurs opérations dans le respect des prescriptions de mixité sociale et pour atteindre un niveau suffisant de pré commercialisation.

Ce n’est pas mettre en cause les impératifs de sobriété foncière, de rénovation du parc existant ou encore de changement d’usage (bureaux) que de souhaiter aussi maintenir une activité de construction neuve suffisamment dynamique, tant pour assurer un renouvellement urbain qualitatif et adapté aux besoins des territoires que pour conserver des compétences.

 

 


 

@drink-drippy, Unsplash

[1]Restera à voir si la révision annoncée du zonage ABC au profit du LLI est de nature à modifier significativement les volumes pour les années suivantes.
[2]Ils n’auraient pu maintenir leurs ratios comptables qu’au prix d’une sensible réduction en volume de leurs investissements, selon Jean Boivieux dans un article publié cet été sur Politique du Logement.

 

DECOUVREZ NOS DERNIERES PUBLICATIONS

Partager cet article :

Inscrivez-vous à la newsletter ADEQUATION