Au-delà de la notion courante de confort, un logement de qualité est d’abord un logement qui répond correctement aux besoins multiples des ménages et de la société. Yohan Breuil, directeur général adjoint d’ADEQUATION, et David Meynard, président de RÉCIPRO-CITÉ, partagent cette conviction.
ADEQUATION (Data Intelligence / Conseil en programmation immobilière et montage) et RÉCIPRO-CITÉ (Maîtrise d’usage et ingénierie sociale) conseillent les collectivités et les maîtres d’ouvrage publics comme privés. La prise en compte de l’usager, avec ses ressources et ses besoins, est au cœur de leurs expertises respectives.
Forts de leur complémentarité, ils partageront un stand (B01) à l’entrée du Congrès HLM 2025. En prélude à cet événement, nous leur avons demandé de s’exprimer sur le thème choisi cette année par l’organisateur : la qualité.
Comment définissez-vous la qualité du logement ?
Yohan Breuil (YB). En tant qu’AMO des collectivités, des aménageurs, bailleurs sociaux et promoteurs, nous savons bien chez ADEQUATION que la qualité se joue toujours dans la prise en compte de plusieurs échelles : cellule, résidence, quartier, territoire. Un logement confortable dans un environnement dégradé ou sans âme est-il un logement de qualité ? Je ne le pense pas. Produire des logements de qualité, c’est donc aussi se demander dans quel environnement ils s’insèrent et comment on peut améliorer dans le même temps ce qui se passe autour de la cellule du logement proprement dite.
Cette question n’est pas nouvelle : nous l’interrogeons depuis une dizaine d’années environ dans les missions de positionnement de projet qui nous sont confiées. Les aménageurs et les opérateurs immobiliers cherchent à augmenter la qualité d’usage des programmes de logements en procurant aux habitants des espaces partagés et parfois des services destinés à leur faciliter la vie et à enrichir les relations de voisinage. Leur coût doit être évalué, notamment en termes de charges d’exploitation, avec cette question : les services seront-ils pérennes ? Les copropriétaires, les locataires ou le bailleur voudront-ils payer dans la durée ? Dans quelle proportion cela valorise-t-il leurs biens ?
De manière plus générale, ce que nous analysons, c’est le rapport entre qualité et coût – d’investissement et d’exploitation. Comment investir et dépenser à bon escient, autrement dit où placer les moyens pour maximiser la valorisation du bien par la qualité de vie offerte tout en proposant un logement accessible financièrement ? Pour nous, c’est précisément ce juste équilibre qui rend les projets économiquement viables.
David Meynard (DM). Pour notre part, en tant qu’experts en qualité d’usage, nous regardons la qualité comme la réponse à la question suivante : les logements répondent-ils aux besoins des personnes qui y vivent ? À ce titre, un parcours résidentiel qui permette à chacun sans distinction de ressources de changer de logement à chaque étape de son existence est l’un des enjeux essentiels : jeunes adultes à la recherche de leur premier logement, couples qui se séparent, personnes âgées isolées. Chez RÉCIPRO-CITÉ, nous sommes particulièrement sensibles au cas des personnes âgées et à la nécessité d’adapter le parc de logements au vieillissement de la population, pour permettre à nos aînés de rester dans leur logement. La réponse est en partie servicielle, mais le service n’est pas forcément celui qu’on croit : accompagner les personnes à être actrices de leurs lieux de vie, susciter l’entraide et des formes de solidarité entre voisins dans le respect de l’intimité de chacun sont les enjeux pour l’habitat de demain. Car chaque génération, et pas seulement les seniors, peut avoir besoin de services, les parents isolés par exemple.
Un habitat de qualité pourrait donc se définir comme un logement abordable, adapté aux besoins, dans un environnement qui apporte du service ?
YB. Cette définition a le mérite de soulever de bonnes questions. Je crois qu’on a un peu trop tendance à assimiler la qualité au confort, voire à la surface en m² de la cellule du logement. Pour illustration, le Pinel +, avec ses exigences additionnelles de « qualité » a été un échec parce qu’il était inadapté au modèle économique des investisseurs dans les conditions de marché de l’époque.
Pour autant, abordable ne veut pas dire low cost. Au fond, la qualité, c’est ce qu’il faut chercher à maximiser dans un contexte urbain, économique et juridique donné. Les montages dissociants tels que le BRS, mais il y en a bien d’autres, peuvent s’avérer une bonne solution dans certaines situations. Les données uniques que nous collectons et analysons nous permettent d’anticiper une croissance soutenue de ce type de produits.
Nos nombreuses études de positionnement des produits gérés nous rendent plus prudents sur le coliving, qui s’adresse à une clientèle de plus en plus réduite, en raison notamment du prix croissant des services attachés (alors même que le marché est largement mature). Cela ne remet pas en cause, bien au contraire, l’intérêt de la dimension servicielle de l’habitat, mais il faut savoir appréhender le coût du service et le rapporter aux ressources des ménages et à leurs aspirations. C’est ce qu’on s’efforce d’éclairer quotidiennement chez ADEQUATION à travers les données, service digitaux et prestations de conseil que nous délivrons auprès des acteurs de la ville.
DM. Je ne peux que souscrire à nouveau à l’intérêt de la dimension servicielle. Les promoteurs qui s’orientent dans cette direction jusqu’à devenir foncières ou gestionnaires n’ont sans doute pas tort. Cela étant, le service à la personne, en ville ou en ligne, est une activité en fort développement. Là où il existe, cela n’a pas de sens de chercher à l’incorporer au projet immobilier. Mais il reste beaucoup de place pour d’autres formes de service. Outre ses prestations d’expertise d’usage, RÉCIPRO-CITÉ a également une activité d’animation de communautés habitantes. C’est une manière d’apporter du service par l’entraide, la mise en relation. Ces espaces partagés dont parlait Yohan, doivent d’abord être bien conçus en amont pour accueillir la programmation envisagée (réunions de familles, cours de yoga, soutien scolaire, etc.). Il y a pas mal d’erreurs à éviter. Mais l’existence du lieu – qu’il s’agisse d’une salle, d’un roof-top, de chambres d’ami ou d’un jardin – ne suffit pas. Il faut provoquer l’usage c’est-à-dire faire en sorte que les habitants s’approprient les lieux et inventent les activités qu’ils souhaitent. Il y a aussi des services d’entraide entre habitants qui peuvent s’organiser indépendamment des lieux. Mais pour que cela se produise, il faut un animateur compétent présent sur place. Le rapport coût-bénéfice de ce type de prestation est très avantageux.
Dans le contexte du vieillissement de la population, qu’est-ce qu’un logement adapté aux besoins ?
DM. Plus de 30% de personnes âgées de plus de 60 ans en France en 2030. Il est clair qu’on ne pourra pas accueillir toutes les personnes âgées dans des résidences services ou dans des EHPAD, très coûteux, et d’ailleurs la plupart d’entre elles préfèrent rester à domicile. Les bailleurs les plus lucides voient se rapprocher le « mur du vieillissement » et savent qu’ils vont devoir gérer le maintien à domicile de personnes âgées dépendantes qui n’auront pas d’alternative. C’est le cas notamment d’Action Logement qui s’est doté d’une « stratégie séniors ». L’intérêt de proposer un projet de vie sociale et partagée (défini par la loi ELAN au titre de l’habitat inclusif) à l’échelle d’une résidence est évident, mais le quittancement de ce type de services reste quasi impossible aujourd’hui. Certains organismes parviennent toutefois à obtenir des aides de la CNSA [Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie] pour prendre en charge ce service[1]. À ce titre, des résidences inclusives qui soient également intergénérationnelles sont évidemment souhaitables pour éviter l’isolement qui est l’un des fléaux de notre société, et qui ne concerne pas que les séniors, bien au contraire.
YB. Les bailleurs sont en première ligne sur ce sujet, mais les collectivités s’en emparent également, à l’échelle de leur territoire. Les besoins en logement des séniors doivent être évalués de manière fine et différenciée car le terme masque une multitude de profils de ménages et donc de besoins spécifiques à servir. La mise en place des solutions, à financement public ou privé, va demander une ingénierie économique et sociale complexe. RECIPRO-CITÉ et ADEQUATION y travaillent. C’est typiquement un enjeu majeur pour les équilibres sociaux liés au logement sur lequel nous sommes très complémentaires et comptons nous investir conjointement de plus en plus.
Une autre tendance lourde est la nécessité de rénover les logements : comment la notion qualité intervient-elle ?
DM. On pense au gain de confort thermique et aux économies d’énergie, qui sont la première motivation de ces rénovations et qui sont évidemment importants. Mais il est regrettable que ces rénovations ne soient pas l’occasion de projets plus globaux. Dans les copropriétés, les projets de rénovation se résument à des programmes de travaux, conçus notamment pour bénéficier des aides de l’État ou des collectivités. Pourquoi ne pas en profiter pour réinterroger l’usage des lieux, l’adaptation aux besoins du territoire et leur contribution au lien social ? Par exemple, les résidences de tourisme en montagne doivent-elles être rénovées pour le même usage ou évoluer vers d’autres formes d’habitat plus utiles au territoire ? Les EHPAD et les résidences autonomie, vieillissants, ne doivent-ils pas pour partie être transformés en logements (adaptés) pour répondre aux aspirations des personnes souhaitant vieillir à domicile ?
YB. Je rejoins tout à fait David sur l’idée que la véritable qualité est une qualité d’usage, qui ne se réduit pas à une note de DPE. La rénovation est aussi le moyen, souvent nécessaire mais pas toujours suffisant, de résorber la vacance, qu’elle soit résidentielle ou tertiaire. Or qu’est-ce que la vacance sinon le symptôme d’une perte de valeur d’usage ? La question est alors de savoir dans quelle mesure une rénovation ou une restructuration vont permettre de retrouver de la valeur d’usage, soit pour un usage identique, soit pour un autre usage. Elle se pose évidemment dans la transformation de bureaux en logement, et c’est ce qui nous a conduits à racheter MBE Conseil, afin de croiser nos expertises résidentielle et tertiaire pour détecter les actifs vieillissants et scorer leur potentiel de transformation.
La qualité d’usage ne peut donc qu’être au cœur du projet de transformation. Mais cet enjeu dépasse de beaucoup l’échelle du bâtiment, il faut aussi et d’abord que l’environnement urbain soit qualitatif, ou a minima capable d’évoluer dans la bonne temporalité. Les collectivités qui rénovent des centres anciens dégradés ou qui régénèrent des quartiers tertiaires (Voir notre interview du directeur général de la SPL Part-Dieu) l’ont bien compris et prennent leur part dans la restauration de l’attractivité. Nos récentes missions d’accompagnement en la matière notamment à Marseille ou à Rouen en témoignent. Et c’est en grande partie leur action qui crée les conditions économiques de la rénovation par les acteurs immobiliers.
Propos recueillis par Jeanne Bazard
[1]Treize des projets d’habitat intergénérationnel coordonnés et animés par Récipro-Cité sont financés par l’Aide à la vie partagée, dont le dernier en date à Pornic en Loire-Atlantique qui inclut des logements en accession, en BRS et locatifs sociaux.