Devant la nécessité de réinventer le modèle de la promotion immobilière, les acteurs repensent leurs stratégies. Diversification, intégration verticale, nouveaux modes opératoires… Le groupe Spirit n’a pas attendu la crise actuelle pour développer un modèle original qui le rend à la fois résilient et bien outillé pour l’innovation. Nous en parlons avec son directeur général, Arnaud Bekaert.

Le groupe familial et indépendant Spirit (250 M€ de CA, 250 collaborateurs) est notamment connu comme leader de la promotion de parcs d’activités pour PME-PMI, un segment qui représente un tiers de son activité. Il est également bien ancré sur le marché résidentiel (2/3 de son CA), où il est présent depuis près de 40 ans, avec aujourd’hui 9 agences couvrant quasiment l’ensemble de la France. Certains des parcs d’activités du groupe sont acquis par des fonds d’investissement gérés par sa filiale Spirit REIM Services, société de gestion qui détient 500 M€ d’actifs. Spirit dispose également de plusieurs filiales spécialisées[1].
Le groupe Spirit s’est rendu résilient en se diversifiant de longue date sur plusieurs marchés immobiliers et en intégrant la chaîne de valeur promotion-investissement-gestion. Comment analysez-vous la situation de la promotion immobilière aujourd’hui ?
Arnaud Bekaert : Commençons par le tertiaire… Le bureau est entré depuis 2020 dans une crise durable avec une demande en baisse et une vacance chronique faisant chuter les rendements réels. L’hôtellerie se maintient car les actifs se transforment ou se déplacent en permanence pour répondre à des besoins concrets. La logistique est en forte croissance, ce qui est un peu moins le cas des parcs d’activités, surtout locatifs ; mais les ventes à la découpe s’en sortent bien.
Dans le résidentiel, le soutien de l’État est devenu pratiquement inexistant. L’arrêt du dispositif Pinel [fin 2024], qui n’est pas forcément à déplorer en ce qui concerne la qualité des logements, oblige le marché à se réinventer, dans le contexte très morose que je n’ai pas besoin de rappeler ici. Je crains que les deux années à venir soient peu propices aux avancées, notamment en raison des élections municipales puis présidentielles, qui sont toujours des périodes de gel des initiatives. Pourtant, il serait utile de réfléchir ensemble aux simplifications susceptibles d’améliorer notre efficacité collective.
En attendant, Spirit expérimente des modes opératoires qui sont autant de pistes de réinvention pour la promotion immobilière résidentielle. Pouvez-vous parler de la construction hors-site par exemple ?
La construction hors-site est plus rapide, génère moins de nuisances, est moins émettrice de CO2 que la construction classique, et permet d’assurer un meilleur contrôle de la qualité. Nous avons une opération en cours développée par Spirit Grands Projets à Gargenville, dans les Yvelines, avec un partenaire spécialiste de la construction bois. Nous nous intéressons beaucoup à la construction hors-site, même si elle n’est pas adaptée partout. Par exemple, il est difficile d’y avoir recours sur une dent creuse en centre-ville, en raison de la place nécessaire. Une préfabrication en 2D [et non pas 3D] permet toutefois d’optimiser le process de ce point de vue en évitant de stocker et de transporter de l’air. Il faut aussi une certaine trame, puisque c’est une architecture modulaire.
Je tiens quand même à préciser que la préfabrication n’est absolument pas synonyme d’uniformité. Elle existe depuis longtemps, pour les modules de salle de bain par exemple, mais le bâtiment est une filière où l’innovation est très lente. La digitalisation, par exemple, est beaucoup moins avancée que dans la plupart des autres activités. Il y a des freins culturels, des métiers qui s’y refusent, dans une filière qui n’est pas du tout intégrée verticalement, avec de nombreux acteurs indépendants.

Les Sarments à Gargenville (78), programme 100 % bois hors-site en co-promotion avec Vestack,
spécialiste de la construction hors-site et bas-carbone. PC déposé, architecte Sathy, aménageur Epamsa.
Une autre forme d’intervention consiste à développer des programmes mixtes…
Les collectivités sont généralement favorables à la création de parcs d’activités car ils apportent des emplois sur leur territoire. Quand nous leur proposons de réaliser une opération mixte comprenant des logements et un parc d’activités, elles sont donc intéressées. La force du groupe Spirit est d’être très compétent dans ces deux domaines. Nous savons, en particulier, gérer la qualité urbaine et paysagère de la parcelle, mais aussi, et c’est un avantage très distinctif de notre groupe, commercialiser les deux programmes.
Spirit s’intéresse-t-il au changement d’usage des bureaux ?
Bien sûr, même si la conversion d’actifs reste complexe. D’une part, les fonciers conservent une valeur très élevée, rarement dégradée dans les livres comptables malgré des rendements quasi nuls et, d’autre part, la rénovation ou la transformation coûtent plus cher que la construction neuve. Il y a des opportunités, assurément, à condition que le propriétaire accepte de réviser la valeur de l’actif. C’est un cap difficile à passer, mais c’est une sage décision quand les espoirs de retrouver des utilisateurs sont devenus inexistants.
Il s’agit de dégrader la valeur de l’actif pour, ensuite, soit le vendre, soit y ajouter un coût de transformation et en conserver la maîtrise, par exemple via un contrat de promotion immobilière. Nous avons eu recours à un montage de ce type dans le 15e arrondissement de Paris, avec un investisseur institutionnel de premier plan. Nous avons transformé d’anciens bureaux en résidence hôtelière 4 étoiles après avoir obtenu l’accord d’un exploitant, qui s’est engagé dans un bail ferme et durable.
C’est un cas de figure plutôt favorable, une transformation en logements aurait sans doute été plus compliquée ?
Oui, l’hôtellerie s’insère relativement bien dans une trame de bureaux. Et, sur le plan financier, l’opération se fait sans transfert de propriété, donc en évitant les frais afférents et la prise de risque pour l’opérateur immobilier. La transformation en logements est plus complexe, ce qui ne nous empêche pas d’étudier régulièrement des projets. On perd l’avantage du non-transfert de propriété puisque l’équivalent de l’exploitant hôtelier n’existe pas pour le logement [familial]. Il faut en revenir à une opération de promotion immobilière classique, avec une part de logement social et une part de vente au détail très difficile à équilibrer, ou à une solution mixte intégrant une part d’hôtellerie, de co-living ou de résidence services.
Cela exige de se creuser les méninges, d’apporter de plus en plus de matière grise aux projets pour trouver des montages appropriés, mais aussi d’accepter l’échec et de ne pas s’obstiner en vain. Les opérateurs immobiliers ne sont pas les seuls concernés, et pas les seuls à réfléchir. Les investisseurs institutionnels sont plus ouverts à la discussion parce qu’ils ont les mains plus libres que les gestionnaires de fonds, qui ne peuvent pas dégrader la valeur des actifs sans impact pour leurs souscripteurs. Mais on finira bien par trouver des solutions pour transformer tous ces bureaux vacants !
Propos recueillis par Jeanne Bazard
[1]Dans la réponse aux consultations et projets d’envergure (Spirit Grands Projets), la réhabilitation immobilière (Spirit Rehab), la gestion locative résidentielle (WIBS), ou encore les énergies renouve-lables, notamment le photovoltaïque (Spirit Energies), parmi d’autres activités développées par le groupe. Pour en savoir plus : https://www.spirit.net/